vendredi 19 février 2016

1/ Préparatifs

Il sera magnifique ce voyage


L’aventure commence le 1er juillet 2011. Pratiquement le lendemain du retour de mon voyage en Chine, le long de la Route de la Soie, j’ouvre le premier « nouveau dossier » dans mon ordinateur sous le titre ‘itinéraire TDM 2012’. Mais ce n’est qu’au début septembre 2012 après une interruption de quelques mois que le projet prend vraiment corps, que sa réalisation passe du statut de possibilité à celui de certitude. A partir de là rien ne me fera reculer. 

La date de départ est fixée au 1er mai 2013 afin de bénéficier de la fenêtre météo la plus favorable. Le souci était d’éviter au maximum le froid en Alaska (juin) et un retour en Europe avant l’hiver. 

La question de l’itinéraire se pose et sans raisons particulières je choisis l’option est vers ouest peut-être seulement pour ne pas faire comme le reste de mes camarades qui préfèrent commencer par la route de l’Asie. 

J’ai donc 7 mois pour entreprendre toutes les démarches, préparer la moto, me préparer, prévoir l’imprévisible et régler tous les détails systématiquement les uns derrière les autres. En premier lieu il faut choisir un itinéraire, et, puisque certains pays demandent des visas, il faut être assez précis pour avoir des dates d’entrée et de sortie pour chacun. Ce travail me prend environ 3 mois à raison de 10 heures par jour.

Ce qui m’aura donné le plus de mal sont souvent des choses complètement anodines qui auraient pu se régler en 2 secondes. J’ai particulièrement galéré pour trouver la compagnie de ferry qui m’amènera de Donghae (Corée du Sud) à Vladivostok (Russie). Sur internet, les informations étaient toutes rédigées soit en coréen soit en russe : ayant déjà d’immenses difficultés à me débrouiller en français, on peut imaginer les problèmes pour déchiffrer horaires et formalités. 


Entre autres détails également, il m’aura fallu au moins 2 mois pour trouver les drapeaux des pays qui seront traversés et à la bonne taille pour le porte fanion que j’ai enfin pu récupérer chez un shipchandler. Soit le porte fanion était trop grand et les drapeaux trop petits. Soit évidemment le contraire. Les quelques cheveux qu’il me reste ont eu chauds car j’ai souvent été à deux doigts de les arracher.



Comme d’habitude la préparation des demandes de visas est toujours un élément de stress. Malgré mes efforts dans l’impossibilité d’obtenir un visa russe à 3 entrées, je dois faire un choix entre la traversée de la Mongolie et celle des chaines du Tien Shan et du Pamir. Ayant déjà fait de la moto en Mongolie (voir onglet «voyages précédents»), je choisis de passer par le Kirghizistan et le Tadjikistan.

Les démarches depuis Tourouvre, dans le Perche pour trouver un menuisier à Seattle aux États-Unis afin de faire une caisse en bois pour acheminer ma moto par avion en Corée du Sud, auront été également un test de ma patience pourtant connue de tous.


Autrefois dans la préparation des voyages au long cours il ne fallait pas oublier les livres ou quelques autres divertissements personnels. Tout est changé maintenant, ce sont des câbles qu’il nous faut: des courts, des longs, des petits et des grands. Point de salut sans câbles. Ils sont tous indispensables et j’ai bien du mal à m’y retrouver. Il faut bien pourtant alimenter ou relier le téléphone, le casque, l’ordinateur, l’appareil photo, la balise etc . . . 
Tous ces câbles ne sont bien évidement pas universels et il faut également prévoir les innombrables adaptateurs. Tout ceci est bien compliqué; quand nous n’emmenions qu’un missel c’était quand même plus simple !



Quelques turbulences passagères, en plus de celles de la météo qui est épouvantable depuis Octobre, me font passer un hiver triste et solitaire : les derniers mois d’attente sont insupportables et je décide de partir en Afrique pour 10 jours en mars retrouver une fine équipe de bras cassés pour chasser au nord-ouest de Bénin. Nous sommes à 250 km du Nigéria et sous ma tente le soir mon arme est chargée, une balle engagée dans le canon, la sécurité enlevée et à portée de main. De la paranoïa bien inutile !



Dans le village de Porga à la frontière du Burkina Faso nous assistons à une messe de Pâques exemplaire de ferveur, de joie et de chants. Nous partageons quelque chose qui nous dépasse entièrement dans une fraternité authentique: alors que tout nous sépare, l’essentiel nous unit par un lien extraordinaire. Nous y trouvons 3 religieuses togolaises Sœur Marthe, Sœur Marie-Claude et Sœur Aline (Sœurs de la Providence de Saint Paul) qui s’occupent d’un dispensaire et d’un orphelinat. Elles dégagent toutes les trois une aura de gaieté et de bonheur tellement communicative. Le retour dans notre camp se passe dans le silence : nous sommes touchés et très émus par ces rencontres. 
Puisque je retiens votre attention quelques minutes, elles font le projet de construire une sorte de foyer pour les filles de la brousse qui veulent aller à l’école dans le village. Le budget est de l’ordre de €10 000. Votre aide serait précieuse et devrait être adressée à l’association SADAKWA 48 rue de Passy 75016 Paris (infos@sadakwa.org). Plus d’informations sur leur site internet : http://www.sadakwa.org/

Quelques allers et retours à Paris où je tombe sur une poésie magnifique et plutôt à propos, dans une exposition au Grand Palais. 


La Longue route par Saban Iliaz

Nous avons pris une route dans la nuit
Sans savoir où elle pouvait nous mener.
Laissant derrière nous un grand pays
Nous avons commencé notre parcours de peine
Nous nous sommes égarés sur des sentiers
portant nos lourdes charges. 
Nous avons enterré nos morts le long de la route ; 
dans les forêts nos pères ont vieilli. 
Au milieu de l’endroit le plus sombre 
nous nous sommes posés pour souffler, 
arrêtés pour reprendre nos esprits 
assis là, nous nous sommes endormis. 
Ni pain à manger ni eau à boire 
aucune croûte n’a pénétré nos bouches. 
Au petit matin nous nous sommes relevés 
pour reprendre la longue route.

La moto passe pratiquement 3 mois au garage à Rennes où Stéphane et Anthony les 2 mécanos du concessionnaire Boxer Passion, que je connais maintenant depuis des années, et, dont la gentillesse n’égale que la compétence, démontent pratiquement entièrement la moto et vérifient toutes les pièces. Je la récupère très confiant.


Ils me trouvent en Allemagne une solution qui devrait me permettre, avec seulement 2 jeux de pneus de la marque Heidenau, de finir les 35000 km de mon voyage. L’avantage, c’est la simplicité car cela m’évite de positionner une ou 2 paires de pneus en avance dans des endroits compliqués comme Vladivostok, Alma Aty ou Tachkent ce qui est très difficile à organiser. En contrepartie il faut que je me trimbale une paire de pneus de rechange ce qui en réalité n’est pas un gros problème. Question poids, un peu plus ou un peu moins cela ne fera pas beaucoup de différence (sauf en cas de chute évidemment).

Sur le chemin du retour à Tourouvre, je passe sous le nez d’une paire de motards de la gendarmerie qui me voit rouler dans un attelage peu probable avec les 2 paires de pneus supplémentaires dans une configuration pas du tout réglementaire. De saisissement ils en oublient de m’arrêter et me rattraperont quelques kilomètres plus loin ; passionnés par mon projet, ils me laissent finalement repartir sans difficultés avec l’éternel "j’aimerai bien partir avec vous mais ma femme hm ! hm !"



Pour la condition physique, je pratique la salle de gym 2 fois par semaine depuis 6 mois. Et, Bonne Mère, je souffre : cardio, musculation, il faut vraiment s’accrocher car c’est très dur et surtout, très rébarbatif. Je n’ai pas vraiment de goût particulier pour les salles de gym et ni particulièrement pour les vestiaires, probablement un blocage olfactif. Mais, avec environ 50 km de randonnées par semaine la forme revient, et je me sens bien. Il faut que je garde confiance dans ma capacité physique à réaliser ce projet. C’est trop important. Je reviens de trop loin pour flancher maintenant. 

Je fais un bilan de santé total, le ravalement de façade complet, murs et plafond, qui amène la Sécurité Sociale au bord du gouffre financier dont elle n’est d’ailleurs jamais trop loin. Du coté cardio , impeccable ! du coté rhumato, peut mieux faire, une vieille chute dans l’escalier qui me fulgure de temps à autre ! un petit chantier du coté dentiste, l’opticien est content de ma mutuelle, l’ophtalmo prévoit une petite intervention à mon retour. Du coté mental, mon psychiatre constate et déplore une détérioration très nette de mon état ce qui n’étonnera pas beaucoup mon entourage qui le subit au quotidien. L’internement administratif me pend au nez et en allant chercher mon visa russe je tombe sur un signe prémonitoire !!!


Le moment du départ approche maintenant à une allure vertigineuse et la tension monte à 3 semaines du grand jour. Toutes les nuances de l’appréhension m’empêchent de dormir la nuit : la trouille (la sainte, la bleue, la verte, la noire), les foies, les grelots, le trouillomètre à zéro, la boule et les papillons font bon ménage dans l’estomac, les chocottes, la frousse, la traque, le taffetas, la taffe, les jetons, le trac, les avoir à zéro, baliser, flipper, la pétoche, les clops. Ils sont venus, ils sont tous là !!!



J-14 et c’est le jour de la course aux visas. Olga Martynova de Russian Concept s’est occupée avec une grande efficacité des ambassades russe, kazakh et ouzbek et je file à Bruxelles à l’ambassade du Tadjikistan dont le préposé fait devant moi en 10 minutes visa et autorisation pour la zone spéciale du Pamir. Tous mes visas obtenus, je n’ose pas imaginer ce qui maintenant pourrait m’empêcher de partir.

  
Si on recherche les raisons profondes de cette passion tardive pour la moto, mon cousin Bernard a peut être trouvé la clef en m’envoyant cette photo de nos 2 pères probablement sur une Harley  autour de l’année 1927. Il y a surement là quelque chose de congénital et si c’est réellement de cet ordre, alors rien ne sert de lutter, il faut accepter l’inexorable.



78 735 km. La veille du départ ma moto affiche 78 735 km, au retour ce sera aux environ de 115 000 km, ce chiffre me donne le vertige. Fébrilité et stress pour tout revoir une dernière fois. Impossible de tout faire tenir, il faut faire des choix. Les sachets de café en poudre et les sucrettes ne sont peut être pas indispensables! Départ donc pour une première étape de 700 km vers la magnifique ville d’ Heidelberg où mon ami Stefan Knopf, champion d’efficacité et de gentillesse,  mettra ma moto en caisse puis l’expédiera sur New-York. Je l’y récupérerai dans une semaine. Elle a vraiment fière allure.


Sur la route en traversant la province boisée de la Sarre, Béatrice qui me suit en voiture me prend en photo alors qu’à cet instant le froid intense m’envoie des décharges électriques dans le poignet gauche. C’est extrêmement désagréable.


Et quoiqu’il arrive ne pas oublier que Seul un motard sait pourquoi les chiens adorent passer la tête par la fenêtre d’une voiture !!!

Les adieux se succèdent à Tourouvre puis à Paris et sur ma boite mail des dizaines et des dizaines de messages d’encouragement que je garde précieusement: les jours de galère  cela me remontera le moral. Même les religieuses de Porga au Bénin m’ont  envoyé l’assurance de leurs prières qui me sont chères entre toutes et si précieuses.  Le dernier jour je suis seul avec ma Loïse à Tourouvre, nous déposons notre trésor Casimir dans sa résidence 4 étoiles et le quittons tous les 2 le cœur bien gros et bien triste.


Les rhododendrons et les arbres fruitiers sont en fleurs magnifiques, la nature suit inexorablement son cours et moi mon chemin : tout est en ordre. Un farewell diner chez ma Margot avec toute la famille qui est là au complet et je pense à mon bonheur immense de les revoir tous dans 6 mois. Puis viennent les embrassades, les promesses de prudence, les recommandations affectueuses et enfin les adieux avec ce qu’il faut d’émotion. Ma Loïse fera un gros chagrin après mon départ, me rapportera-t-on plus tard. Qu’elle ne s’inquiète pas ma Bichette tout ira bien.  Il est temps de partir sur Orly où après une courte nuit à l’hôtel de l’aéroport je me présente à l’enregistrement pour me voir surclassé en première. Quelle une bonne augure ! Bye bye everybody ! Ride safe, ride far !

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