lundi 15 février 2016

5/ Kazakhstan - 1ère partie

Terrain de chasse. Mont de l'Altai


31 juillet

Une journée déjà au Kazakhstan et déjà tellement de découvertes.
Un poste frontière largement déserté ce qui, contrairement a ce que l’on pourrait penser, n’est pas synonyme de rapidité dans les formalités ni du côté russe ni du côté kazakh: les pauvres douaniers s’ennuient à mourir et sont ravis de faire la conversation surtout avec un voyageur en moto. Ça dure, ça s’éternise mais tout ce passe finalement très bien. Du côté kazakh, grands sourires sur les visages à coup de «Welcome to Kazakhstan». On sent une ambiance complètement différente. Tout ça paraît très prometteur. 
L’ensemble de mes cartes et mon GPS me font passer par Semey (proche du polygone des essais nucléaires soviétiques) pour aller a Oeskemen mon étape du jour. Sauf une, qui propose en tout petit liseré un raccourci 50 km après la frontière. Arrivé à ce croisement évidemment je n’hésite pas une seconde. Et me voilà embarqué pour 250 km sur une petite route GÉNIALE, pas un chat, le rêve. Quand on ose, on est toujours récompensé. Malgré tout, il vaut mieux éviter la panne ou la crevaison mais bon, je croise les doigts.

Modèle standard!
Modèle Bangkok!

La route est dans un état épouvantable avec des nids de poules en permanence. Il y a les petits qui sont souvent en grappe et qui vont de la taille d’un pot de chambre à celle d’une grande bassine. Le problème, c’est leur profondeur, plus elle est grande plus le risque de casse est important. Ensuite, il y a la taille supérieure que j’appellerai la taille baignoire: cela va du sabot à la baignoire 2 places modèle Bangkok de chez Jacob Delafon (réf: 28 367 plus code couleur). 

Ensuite, il y a le trou géant qui a la taille d’une voiture entière et qui occupe toute la largeur de la route. Celui-là est évidement impossible à contourner et pour passer il faut descendre au fond pour remonter de l’autre côté.
Anecdote : vous vous étonnerez peut-être de mes connaissances en baignoires Jacob Delafon mais il se trouve que j’ai été l’agent de cette maison en Indonésie  dans une autre vie. Nous vendions 1 seul modèle, la Bangkok bien sûr. Le seul problème, c’est qu’en Indonésie à l’époque, il n’y avait que très peu de pression et de débit aux robinets d’eau dans les maisons et qu’il fallait les ouvrir le matin pour remplir cette fameuse baignoire pour le soir et bien sûr le soir l’eau était froide. Autant pour les coquins ! 



Pour en revenir sérieusement à nos routes, en plus des nids de poules, il faut surveiller les plaques de goudron qui se liquéfient avec la chaleur. Ceci n’est pas uniquement un problème au  Kazakhstan car une glissade sur une plaque de goudron à 15 km de Tourouvre m’envoyait il y a 1 an pour 1 mois à l’hôpital avec 9 cotes et une clavicule cassée. 
Enfin vigilance obligatoire.
Finalement il y a des endroits où la route disparaît carrément ce qui oblige le motard à passer en mode motocross sans d’ailleurs qu’il ne le regrette beaucoup.

Vous aurez compris que quelque soit l’état de ces routes, elles m’enchantent.



Arrivé à Oeskemen où je dois me rendre dans un hôtel de l’autre côté de la ville. A un feu rouge de loin sur ma droite,  je repère un motard local sur une moto japonaise. Un petit signe de la main et je passe mon chemin. A l’hôtel, 5 autres motards m’attendent. Le collègue que j’avais croisé les a prévenu par mobile et ils sont là. Je suis bluffé. On discute tant bien que mal et on prend rendez-vous à mon retour de la chasse pour une traversée de la ville avec tous les motards du coin.

D’habitude, je fuis systématiquement les rassemblements et autres clubs de motards qui m’ennuient trop et sont souvent mal fréquentés; mais mes kazakh sont vraiment trop sympas. En plus ça a l’air de tellement leur faire plaisir que c’est un bonheur. On verra bien.



Le type qui organise mon séjour de chasse m’envoie en signe d’accueil VIP dormir dans une «station de ski» qu’il possède à 30 km d’Oeskemen. Ça date de l’ère soviétique et c’est pathétique. Pourquoi est-ce qu’il m’envoie là ? Comprends pas.


1 Août

Je fais connaissance de mon guide Serguei et de son assistant Djenia avec qui je vais passer la prochaine semaine dans un camp perdu dans les montagnes de l’Altaï au nord d’Oskemen. Il y a quelques jours, je n’étais pas très loin de cette endroit mais du côté russe. Provisions, vodka, armes, munitions, tout est prêt. Cette semaine s’annonce formidable.

Pour arriver dans ce camp, il faut traverser une rivière assez importante qui est en crue à cause des fortes pluies récentes. On me propose un hélicoptère ce que je décline fermement. Un trop mauvais souvenir !

Après 4 heures et 150 km de routes impossibles qui finissent en une piste pratiquement plus carrossable, nous arrivons dans le hameau de Quarakougera, le plus à l’est du Kazakhstan. J’avais émis le vœu d’y venir avec ma moto, bien m’en a pris de ne pas avoir insisté car de larges tronçons de cette piste sont des étangs de boue et en moto, surtout avec la mienne si lourde, cela n’aurait pas passé.

Un camion géant, genre GMC de l’armée, nous attend qui nous fera traverser cette fameuse rivière. Elle fait au moins 100 m de large et le débit est effectivement très important. A un moment ça commence à pencher sérieusement et soudain c’est moi qui n’en mène pas large. Là, je suis en plein dans l’Aventure avec un grand A, remonter en camion militaire russe qui date du moyen âge, une rivière en cru pour aller pêcher et chasser dans la chaîne de l’Altaï, là, je n’aurai pas pu rêver mieux. C’est Yves Montand dans le Salaire de la peur. Je m’y crois, j’y suis, c’est du cousu main.












Puis c’est le premier camp que j’appelle Vaux-Le-Vicomte. Une petite maison avec une chambrée de 4 lits et une entrée puis une autre petite maison pour le bania ou bain (vapeur) russe dont je ne suis pas amateur.

Dans cette partie de mon voyage authentique rime avec rustique et moustiques mais pas avec confort.

Pour l’authenticité, il n’y a rien dans cette situation qui ait à voir avec le paraître ni avec le sophistiqué, je dirai même c’est plutôt genre brut de fonderie. Pour le rustique, nos camps de chasse africains même les plus modestes sont des annexes du Club Med à côté de Vaux-Le-Vicomte. Là, on reste dans les fondamentaux mais rien de plus. Pour ce qui est des moustiques en ce début du mois d’août, ils sont pires que ceux de l’Alaska et de la Sibérie réunis. Des sournois qui s’infiltrent partout, c’est une abomination. Je vis avec un filet sur la tête et j’ai le spray anti-moustique à la main en permanence. Avec ça, les chevreuils doivent me sentir à des kilomètres. A force ils deviennent débilitants et gâchent un peu le plaisir. C’est insupportable. Le confort, là, par contre c’est plus simple et plus court, il n’y en a pas, ni douche, ni toilette, rien. C’est la règle du jeu qu’il faut accepter pour cette chasse sinon on va tirer les faisans dans les battues solognotes.

Pour venir ici il faut avoir la motivation et la passion car dans de telles conditions assez difficiles, il est facile de partir en galère. Ça ne peut pas plaire à tout le monde. J’en connais certains qui auraient vite fait de partir en courant. Évidemment cela me convient plutôt.



Les paysages alentours sont sublimes, un isolement total, un dépaysement absolu. Que demander de mieux !

Question chasse, une petite déception car je ne vois pas le gibier pour lequel je suis venu, mais bon ce n’est pas réellement important. Je passe 2 jours à Vaux-Le-Vicomte où je vois 2 chèvres dont une à 20 mètres. Énormément de traces d’animaux, ours, élans, chevreuils, sangliers autour des mares mais dans cette végétation aussi dense que la jungle malaise, il est impossible de voir quoique ce soit à moins d’un mètre. La chasse va être beaucoup mais beaucoup plus difficile que je ne l’avais pensé. Il est hors de question de faire une approche, on tente donc une chasse de rencontre sur l’unique chemin du secteur mais l’idéal reste l’affut qui me permet de voir un ours de 200 kg et quelques chèvres. On pourrait également crapahuter dans les forêts et vers le sommet des montagnes mais se n’est pas dans les idées de mon guide et je m’incline. 



Dans quelque domaine que ce soit, il est toujours difficile de s’incliner devant quelqu’un de totalement incompétent mais bon restons zen, on verra plus tard. Pour une concession de 128 000 ha ils comptent 300 chevreuils ce qui est très peu, pour 6 bracelets à tirer par an. Autant chercher une aiguille dans une meule de foin. J’aurai énormément de chance si je fais un tableau.

Puis, un autre camion arrive du même style et du même âge que celui qui nous avait déposés et nous levons le camp vers Chambord à 10 km encore plus loin et plus haut dans la montagne. Ce camion qui a probablement un moteur de char d’assaut passe absolument partout dans un bruit infernal qui fait fuir le gibier à des kilomètres et en fait nous retraversons cette rivière ou plutôt l’un de ses affluents au moins une dizaine de fois. Ça secoue mais ça passe.


Chambord, c’est une cabane en rondin avec une chambre à 2 lits complètement perdue, enfouie dans la nature au bord de la rivière. La carabine est suspendue à un crochet. On se croirait dans la hutte en rondin de Jeremiah Johnson. Le poêle russe est là, inutile en cette saison. Les moustiques redoublent d’agressivité et d’impertinence.





J’imagine qu’elle doit ressembler à celle de Sylvain Tesson au bord du lac Baïkal. Même genre. Elle me plaît trop. Si un jour, je disparais de la circulation c’est là qu’il faudra venir me chercher.



En attendant nous faisons des pêches miraculeuses qui alimentent, c’est le cas de le dire, nos repas ou peut-être des pêches pour nos repas qui nous alimentent (je ne sais plus parler correctement et ma syntaxe fout le camp). On me les ressert froid pour le petit déjeuner mais là je cale. 



En marchant dans le bois derrière Chambord, je n’en crois pas mes yeux, le sol est couvert de girolles. Des vraies, qui ont le goût de poivre quand on les mange crues.Comme les chevreuils me laissent tomber, je pars avec un seau qui se remplit en une heure. Nous avons quelques œufs mais il me manque de l’ail. Tant pis pour l’omelette. Dire que je n’en trouve jamais dans ma forêt du Perche et que je suis obligé de faire 40 000 km en moto pour ramasser des girolles !



Chevreuil ordinaire
Chevreuil de Sibérie
Que d’efforts et d’énergie pour aller chasser le chevreuil de Sibérie alors qu’il y en a plein la forêt derrière l’ Enclose à Tourouvre. La réponse est explicite dans les photos jointes. Ce sont les trophées exceptionnels par leur taille qui font la différence. La robe des chevreuils de Sibérie est assez claire alors qu’elle est tire sur le gris pour ceux de chez nous. Malgré tout on évitera de trop penser aux moyens mis en œuvre pour réaliser cette chasse pour ne se concentrer que sur la passion qu’elle exerce chez un certain nombre d’entre nous !





5 Août

Mesdames et Messieurs, il l’a fait ! A ma connaissance je suis le seul à avoir été chasser en Asie Centrale en moto. Ça c’est un record qui va faire faire un grand bond en avant à l’humanité toute entière et qui va rester dans les annales, j’en suis sur. Bon la chasse n’a pas été très fructueuse mais c’est sans réelle importance, l’essentiel est d’avoir tenté le coup et si je puis me permettre de belle manière.

A mon retour on reparlera peut être d’un autre record, enfin je ne suis pas sur encore de vouloir aborder ce sujet, si personnel, sur internet.

7 Août

Grosse étape de 820 km entre Oskemen et Taldyqorghan sur la route d’Almati qui me prendra 15 heures épuisantes.

Première crevaison depuis le départ de Tourouvre il y a plus de 3 mois. J’ai un petit gonfleur électrique que je branche sur l’allume cigarette que j’avais fait installer sur le guidon. Il marche d’une manière impeccable et me permet de rejoindre un village à 10 km où une bonne âme me conduit chez quelqu’un qui me repart tout ça pour 2 euro.

La veille de mon départ d’Oskemen, j’avais fait un marché pour mon déjeuner du lendemain et je gère mon niveau d’essence pour être sûr que sur cette route je ne m’arrête en aucun cas à 100 km avant et après la ville d’Ayagöz qui a très très mauvaise réputation chez les motards dont certains ont été victimes d’exactions et de vols à main armée. En effet, il y a une prison dans cette ville et les détenus libérés ont tendance à rester dans la région pour faire des mauvais coups. Donc, on passe vite, en regardant devant soi sans que le regard accroche celui de qui que se soit. 


Mon cheval de métal dans la steppe
Steppe infinie plutôt agricole au nord et qui se transforme au fil des kilomètres en steppe herbeuse pour finir les 400 derniers kilomètres avant Almati par un quasi désert annonciateur du désert de Gobi. Il fait de plus en plus chaud et à l’arrivée rien n’arrive à étancher ma soif. J’ingurgite des litres et des litres d’eau pure: la ferrugineuse n’étant pas disponible dans le coin. 


Derrière cette montagne, la Chine

A la hauteur de Sarqan, je me rapproche de la frontière chinoise et derrière la chaîne de montagne se trouve le lac chinois de Sayram Hu, dont la route d’accès nous avait bien amusé pendant ma Route de la Soie il y a 2 ans. Au fil des km j’arrive donc en territoire un peu connu. 

Je suis incapable de faire un km de plus et m’arrête donc au bout de 820 km à Taldyqorghan. 
Là, aucune information sur mon GPS concernant l’hôtellerie et les informations notées une semaine avant sur internet sont fausses. 
Donc, on applique le plan B à savoir je me rends dans ce que je crois être le centre-ville, je reste sur la moto et je fais semblant de chercher sur une carte. Dans les 2 minutes, il y a 15 personnes autour de la moto et quand je demande un hôtel, ça commence à discuter de tous les cotés, «c’est là-bas, il faut tourner à gauche et puis 2 fois à droite» dit l’un mais «pas du tout c’est ailleurs» dit l’autre, etc... jusqu’à ce que quelqu’un me demande de le suivre avec sa voiture et un quart d’heure plus tard je suis dans une chambre. 
L’avantage de ce système qui marche à tous les coups, c’est qu’on m’emmène dans le bas voire très bas de gamme. Hier, j’ai eu la chambre la moins chère depuis mon départ soit moins de 10 euro. A ces prix-là on ne peut espérer une prestation de standing mais quand on est crevé un lit c’est un lit.

9 Août

Il faut dire tout de suite qu’Almaty est très agréable, des rues ombragées, des petits jardins derrière les immeubles, des ruelles, de la modernité et du confort : tout ce qu’il me faut. J’ai suivi la préconisation de Lonely Planet et m’installe pour 4 jours à l’hôtel Kazzhol dans une toute petite rue sur un jardin, très calme, parfait.




Depuis ma fenêtre, je peux voir les contreforts de la chaîne du Tian Shan avec qui je ferai mieux connaissance la semaine prochaine. Je peux également surveiller ma belle moto sous sa bâche bleu. 



A part ça, évidemment tout ce que j’avais prévu de faire à Almaty est tombé à l’eau comme d’habitude. Sauf les soins nécessaires à mon doigt qui a voulu s’interposer entre la caisse et la portière du camion pendant mes aventures cynégétiques. De ce côté-là tout devrait aller mieux d’ici quelques heures.
Je profite de mon farniente pour mettre au point les détails de mon passage en Asie Centrale, c’est à dire jusqu’à Astrakan en Russie vers le 6 septembre. Tout est à peu près cadré sauf pour une section où j’attends des informations d’un certain Axel qui est parti de France en Avril sur un side-car russe d’occasion jusqu’en octobre/novembre et qui a pris à l’aller cette route (piste ?) en sens inverse du mien. 
Départ demain pour le Kirghizistan par une route prise également en sens inverse il y a 2 ans. 
Quelques incertitudes sur les possibilités internet dans les montagnes de l’Asie Centrale. Pas d’inquiétude SVP. Du moment que ma balise fonctionne sur 48 h, c’est que tout va bien.


Re-steppes infinies et retrouvailles émues avec le poste de police qui avait donné lieu, il y a 2 ans à une explication de texte sérieuse qui avait été à deux doigts de se terminer en baston générale avec les flics du secteur. Enfin flics c’est vite dit pour des voyous. Voir l’onglet Voyages précédents et particulièrement le récit «la Route de la Soie».


A l’entrée du Kazakhstan, on m’avait donné un papier que je devais faire viser dans les 5 jours de mon arrivée dans un commissariat de police justement. Évidemment j’ai bouffé la consigne et au poste frontière à la sortie «on» m’en a fait force grief et «on» me fait comprendre que peut-être un bon geste de ma part, voyez-vous, atténuerait la colère bien justifiée de notre policier. Bref pour 100 € je passe la frontière. 

Au revoir et à bientôt Kazakhstan! 

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