dimanche 14 février 2016

6/ Kirghizstan

Chaine du Tian Shan
11 Août

Aujourd’hui commence le premier des anniversaires familiaux qui se succéderont tout le mois d’août. La plupart sont des anniversaires de naissance qui sont prétexte à des manifestations de chaleur, d’affection et d’espérance. Mais l’un est un anniversaire d’un départ encore tellement douloureux après plus de 10 ans. Il aurait été archi passionné par ce voyage en moto. Même si on ne participe pas directement à la réalisation de tels projets, soyons en toujours curieux et passionné comme il l’a toujours été de tout.




Au départ de Bichkek, je constate des fissures sur mon pneu arrière qui peuvent être très embêtantes surtout compte-tenu de la suite du programme où il va être énormément sollicité. Je roule à petite allure.


Les montagnes approchent et l’appréhension monte. Elles sont tellement énormes qu’au pied du mur (so to speak), j’ai un petit coup de pétoche. Rassurez vous, passager. 

Mais probablement à cause de la fatigue terrible qui me tient depuis quelques jours, une faute d’inattention m’envoie dans le fossé dont je me sors par miracle. Évidemment, c’est mon pied gauche, le fragile, qui tape la route et m’envoie une bonne décharge de douleur. 
A l’heure où je vous écris, le gros orteil a doublé de taille. Heureusement que j’avais mes énormes bottes de moto achetées à Fairbanks en Alaska.




J’atterris donc dans une pension de famille, genre classe moyenne russe au bord du lac Issyk Kul, que je connaissais déjà, formidable perle d’eau coincée dans la chaîne du Tien Shan. Ce lac immense est une bénédiction et un lieu de vacances pour tous les pays de la région qui n’ont aucun accès à la mer. La météo n’est pas excellente aujourd’hui donc on ne voit pas les montagnes de l’autre côté. 


La formule pension de famille est assez agréable car c’est du tout compris, des repas à heure fixe et pas de carte mais le même menu pour tout le monde. Cuisine très simple mais excellente. J’ai toujours adoré les cantines. 

12 Août

Après cet accident évité d’un cheveu hier et un certain nombre d’incidents qui se multiplient depuis quelques temps, il est nécessaire de faire le point sur ma situation actuelle. 

Perte de passeport à Oeskemen (heureusement retrouvé le lendemain par un passant), oubli des formalités de police Kazakh, perte d’objets divers, lassitude etc... 

Ces signes ne trompent pas, la fatigue est bien là, elle s’est installée dans mon voyage et il faut l’intégrer comme faisant dorénavant parti des données de ce périple. Quand c’est possible, j’ai diminué la longueur de mes étapes d’une façon très importante et je prends beaucoup de jours de repos mais cela ne suffit pas vraiment à me permettre de récupérer. 

Les problèmes de santé que l’on rencontre habituellement en voyage sont bien là également, surtout depuis mon séjour dans la forêt il y a 10 jours. C’est à la fois épuisant et démoralisant. Les médicaments emmenés ne sont pas d’une grande efficacité.

Une autre source importante de fatigue c’est le manque de régularité dans mes horaires de repas. L’estomac est fragilisé quand son horloge n’est pas respectée. Problème bien connu dans l’armée.

Cela fait maintenant 3 mois et demi que je suis parti, et il est normal qu’à mon âge la fatigue s’accumule, il n’y a là rien d’exceptionnel ni d’inattendu. 

En tout cas rien de dramatique qui mérite d’alarmer la famille. 

Il me reste peut être un peu plus d’un mois et demi avant mon retour et c’est certainement la partie la plus difficile du voyage qui commence vraiment maintenant. Il va falloir s’accrocher et tenir le coup car après l’Ouzbékistan, la route va être beaucoup moins intéressante. Une seule chose va compter c’est d’arriver et d’arriver en entier. 

On ira jusqu'au bout

Vous êtes un certain nombre à m’avoir trouvé un peu rapide sur ma chasse dans le nord Kazakhstan et vous avez bien vu le coup. Tout d’abord, je n’ai pas souhaité élaborer mais maintenant je vais expliquer. 

On se souvient sur la veille de mon départ pour un camp de chasse, le guide m’avait annulé mon séjour en invoquant des mensonges inadmissibles. Par une coïncidence extraordinaire, je rencontre quelques jours plus tard dans un hôtel d’Oeskemen 3 jeunes français fonctionnaires à l’ambassade qui partent chez ce même guide pour faire des randonnées à cheval dans les montagnes au dessus de chez lui, là où je devais chasser.  Chercher l’erreur... 

Entre-temps, l’organisateur de ces chasses à Paris me propose une autre solution que j’accepte volontiers les yeux fermés, en confiance et n’ayant à vrai dire, pas beaucoup le choix. Après avoir reçu un accueil VIP du nouveau guide et de sa collaboratrice me voilà donc parti en camion dans les rivières de la vallée de l’Uba. 

Arrivé dans le camp, je déchante rapidement tellement la prestation est nullissime. Depuis 15 ou 20 ans que je chasse a l’étranger, je n’avais jamais rencontré une telle concentration d’incompétence chez un guide de chasse. Nous sommes à la limite du foutage de gueule. Ayant décidé de ne pas me mettre en colère et de ne pas faire d’histoire, au bout de 3 jours, je décide simplement d’écourter cette plaisanterie grotesque. 
Alors que cette chasse devait être un point fort de mon voyage, qu’il y a plus d’un an que je m’ occupais de son organisation, tout cela a tourné dans un fiasco abominable. A mon retour à Paris, j’espère obtenir des réponses aux questions que posent cette malheureuse affaire.

20 Août

Aucun réseau internet pendant plus d’une semaine, ce qui n’est pas étonnant compte-tenu de là où je suis passé.

En arrivant au Kirghizstan, je retrouve des mainates, genre de gros merle, très bon chanteur dont il y avait pléthore en Asie du Sud Est dans mes années Singapour/Indonésie. Ce qui me fait dire que l’hiver au Kirghizistan doit être très doux. Puisque nous sommes dans l’ornithologie, je remarque également, 2 oiseaux que l’on retrouvait dans ma jeunesse, au fond de la charmille à Rigoulène et qui maintenant ont complètement disparus de nos contrées : la huppe magnifique oiseau au plumage beige rayé de noir et le loriot au plumage jaune vif, superbe également. 

En quittant ma pension de famille sous une bonne pluie, je souhaite vérifier si le poste frontière avec le Kazakhstan de San Tash  (ni reproches!) est bien ouvert car c’est une question qui se pose à bien des voyageurs sans la possibilité d’avoir la réponse de qui que se soit autres que de ceux qui vont vérifier sur place. Pour y accéder, je m’engage dans une vallée après Tüp. Au fur et à mesure que je progresse, je ne sens pas, dans les villages traversés, une ambiance très chaleureuse, pas vraiment agressive mais pas amicale non plus. Quelques cris ça et là, mais pas pour m’inviter au baptême du petit dernier. Oui donc cette année la frontière est bien ouverte depuis avril. Ce point acquis, je fais demi-tour un peu tendu en traversant ces villages en sens inverse. La vérité est qu’il y aurait eu quelques violences dans le secteur il y a un certain temps et me dit-on pour des motifs religieux.  


Dans le moindre village on voit des mosquées, toutes sur le même modèle, toutes récentes. On ne peut pas s’empêcher de penser que compte-tenu de la pauvreté du pays, un architecte saoudien a du faire une belle affaire s’il a été rémunéré à la quantité. Pour le moins!!! On voit quelques femmes voilées mais aussi quelques barbus inquiétants. Tout ceci n’existait pas lors de mon passage il y a 2 ans. Mauvaise impression pour l’avenir.

Dans les pays d’Asie Centrale, les « stan », il faut parler de la difficulté de lire une carte et d’en faire correspondre les informations avec les panneaux de signalisation routière. J’avais déjà dit que je m’efforçais d’apprendre l’alphabet russe mais uniquement en lettre majuscule. Parce qu’en lettre minuscule, cela se complique déjà beaucoup. Mais depuis l’indépendance des soviets, les pays en question ont bien sûr voulu changer quelques noms pour ceux de célébrités locales qui bien sûr peuvent être également en alphabet russe minuscule et majuscule mais aussi dans les langues locales qui essaient de re-émerger. J’oserai dire que j’en perds mon latin encore qu’au grand dam de mes parents, dans cette matière aussi j’étais un cancre pathologique mais heureux.  Enfin pas si heureux que ça !

Quelques orages éclatent précisément dans les montagnes que je dois passer et les pistes sont soudainement traversées par des torrents de boue. Comme au premier passage j’avais tellement la trouille de me faire embarquer dans le torrent je n’avais pas  mis ma camera en marche, je fais demi-tour et recommence. Le résultat sur la vidéo est loin d’être aussi impressionnant que la réalité. Ma belle moto est couverte de boue et je suis aussi dans un sale état. Un peu plus loin des campeurs hollandais ont retrouvé leur voiture, 50 m plus loin que là où ils l’avaient garée.


Cela faisait donc quelques années que je scrutais les cartes dont je possède un nombre incalculable d’exemplaires, pour savoir si la boucle autour de Karakol, pas en tête mais à l’extrémité est du lac Issyk Kul, par les hameaux de Engilchek et de Kara-Say était faisable ou pas.
Certaines cartes disent oui, d’autres évidemment disent non ce qui rend la prise de décision à distance impossible.

Je commence par me rendre au syndicat des guides de montagne où l’on me déconseille fortement de tenter le coup car des orages énormes ont gonflé les rivières en torrents et comme il n’y a pas de ponts, les gués sont devenus infranchissables. De plus, un permis est nécessaire, il prend 5 jours à obtenir et est expressément exigé à un check-point dans la montagne. Plus on me raconte tout ça, plus je me lèche les babines et en sortant du bureau du syndicat, je pars illico en direction de ce passage pour tenter d’aller au plus loin possible. 2 problèmes malgré tout, il est un peu tard vers 15 h et je suis un peu court en carburant. Finalement, je m’arrête et fait demi-tour vers 3500 mètres après une montée d’anthologie dans un chemin de pierraille de plus en plus technique. La montagne est sublime, des forêts de sapins magnifiques, il fait un temps idéal, j’ai osé seul. Malgré ce demi-échec, je suis  fou de joie, cela faisait si longtemps que j’en rêvais.





Puis en quelques jours, c’est la traversée de la chaine du Tien Shan qui m’amène Naryn près de la frontière chinoise puis au lac de Song Kol au bout d’une piste magnifique avec des lacets impressionnants. Puis c’est une nuit à Kochkor chez l’habitant. 



Ma moto est garée dans la courette de la maison et par flemme ou oubli, pour la première fois depuis 4 mois je ne la couvre pas pendant la nuit. Moralité : le lendemain je m’aperçois qu’on m’a fauché mon bidon d’essence de secours. Puis, c’est Osh, où je prends une journée de repos avant de passer au Tadjikistan et d’attaquer la chaine du Pamir. Mais les derniers jours ont été fabuleux, de vallées en vallées reliées par des cols ou des gorges impressionnantes.



Une piste en particulier, terrible, 150 km de tôle ondulée en 5 heures, une chaleur épouvantable qui pour la première fois depuis le début de ce voyage me font arriver à la nuit à mon étape. La journée la  plus éprouvante physiquement depuis mon départ. Paysages grandioses que mon petit appareil de photo aura bien du mal à rendre.



Mes repas sont essentiellement composés de ce délicieux pain rond avec une boîte de sardine ou un saucisson local bien gras. Je consomme également d’énormes quantités de biscuits qui coupent bien la faim et facile à transporter. Pour équilibrer un peu tout ça j’avale des quantités phénoménales d’abricots et de pêches qui sont sublimes. J’ai décidé une fois pour toute de faire l’impasse sur la décoction locale à savoir le lait de jument fermenté, par crainte d’un refus gastrique caractérisé.


Chapeau kirghize
Chapeau ouzbek

Petit bémol malgré tout, plus je progresse vers Osh donc vers l’ouest, plus les gens deviennent difficiles, les voitures me rasent à 10 cm, on fait des histoires dans les stations d’essence, on perçoit beaucoup d’agressivité, les femmes sont de plus en plus voilés, les mosquées de plus en plus importantes et richement décorées mais toujours de construction très récente. Pour faire court, d’un côté est du Tien Shan « bonjour » est  « dobryjden » mais de l’autre côté c’est devenu « salam aleikum ». On sent un pays très « travaillé ». La nationalité des hommes se différencie par la forme de leurs chapeaux, il y a les kirghizes, les ouzbeks, puis les autres que je suis incapable de reconnaître.  

Me voilà donc dans un guesthouse dont ma chambre donne sur le marché d’Osh. Le bruit est infernal car les hauts parleurs diffusent en permanence ce que je pense être des sourates du Coran. Le problème c’est qu’il y a de la concurrence entre les imams et plusieurs systèmes de hauts parleurs qui fonctionnent en même temps. En plus les marchands de CD ne veulent pas être en restent. Chacun essaye d’attirer le client en mettant la sono plus fort que l’autre. Une cacophonie indescriptible. Il y a là quelques voyageurs et ça discute ferme sur les itinéraires, les motos. Je suis très fier car quand j’explique mon voyage, j’entends des silences admiratifs et approbateurs.



Je passe Sari Tash le dernier bourg du Kirghizstan avant la frontière et devant moi s’étale d’un coup,  majestueux, grandiose, sublime, impérial, le Pamir.




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