samedi 13 février 2016

7/ Tadjikistan

Himalaya Pamir


Première réaction en voyant cette barrière blanche, c’est de me dire que peut-être j’ai eu les yeux plus gros que le ventre. C’est terrifiant. Je ne vais jamais traverser ce truc, c’est impossible. La pétoche monte d’un cran.  



J’attaque le premier col en croisant un troupeau de yaks, petites vaches extrêmement farouches et très agiles. Elles détalent comme des lapins. Difficile de prendre une photo. 




Vers 3800/4000 à 2 km de distance je me tape un franchissement de gué, ce que je déteste, et une zone de boue pour lequel je n’ai pas une passion non plus. La rive opposée du gué est pratiquement verticale et une grosse pierre bloque la roue avant de la moto. Je me retrouve bloqué les pieds dans l’eau  avec ma machine de 350 kg sur les bras. Je me fiche de tout ce qui peut arriver sauf de tomber, seul dans ces conditions je suis incapable de remettre la moto debout. Au niveau de l’adrénaline, le débit passe tout de suite au stade lance à incendie des pompiers de Paris. Puis finalement, au bout d’un temps qui me parait interminable, ça finit par passer. Mais ça a été très très chaud. La puissance de cette moto est incroyable. 

Le passage de boue est franchi au pas les pieds sur le sol. Mais tout part de tous les côtés, la roue avant de la moto veut aller à droite, l’arrière veut aller à gauche et mes deux pieds n’offrent aucun appui dans la gadoue. Là aussi je ne pourrai pas dire comment c’est passé, ça tient du miracle. Ce qui m’embête c’est l’indicateur de température de la moto qui est au maximum, il faut m’arrêter immédiatement. Un moteur qui serre dans ces conditions ce serait la catastrophe. Arrivé au col, 4265 m, je m’arrête le souffle court, les jambes en coton, au bord du malaise et suis incapable d’avaler quelque nourriture que ce soit. Des nausées terribles. Je suis dans un sale état et je passe un long moment étendu derrière un rocher à l’abri du vent glacé pour essayer de me calmer. Si les difficultés continuent à être de ce niveau-là je ne sais pas comment  mon cœur va tenir le coup. Peut-être la voilà la fameuse limite que, comme un con débile, j’essaie de trouver depuis 6 ans. La statue du marco polo au passage du col ne me réconforte pas vraiment. Il m’énerve plutôt avec son air hautain. Pour qui il se prend celui là ?



On appréciera la qualité des commentaires sur la vidéo suivante !!!







On repart sur un plateau à 4000 / 4200 m pendant 300 à 400  km avec  quelques cols dont un à 4700m. J’aurai fait de la moto plus haut que le sommet du Mont Blanc !
A plus de 4000 m, il n’y a plus de végétation ni de bétail. Je passe une vallée que je nomme la Vallée des Marmottes, il y en a des centaines, beaucoup moins farouches que dans nos Alpes. Le lac Karak-Kul  grandiose.

Arrivée à Murgab, petit village à 3700 m, dernier peuplement kirghize dans le Pamir.  Etape dans un guesthouse genre, plus rustique que ça tu meures, et rencontre avec un motard polonais et un cycliste bulgare. Encore des histoires de vie étonnantes. Je suis très marqué par les efforts de la journée et à cette altitude impossible de trouver le sommeil. Pas dans mon assiette, je suis très inquiet. La combinaison des effets de l’altitude et de mes médicaments me laisse sans souffle au moindre effort et en même temps je sens que ça tape très fort dans ma poitrine et dans les carotides. La pompe marche à vide. Je ne sais pas si c’est approprié mais tant pis je tente le coup et prends une autre dose de bêta-bloquant, les choses s’apaisent. Une paire de jeunes motards eux aussi perturbés par l’altitude qu’ils ne supportent pas, partent dans la nuit pour arriver le plus vite possible à Osh mon point de départ. C’est de la folie mais ils n’en démordent pas.  

A gauche ou à droite?

Au croisement de la piste sud qui me ferait passer le long de la frontière avec l’Afghanistan, je choisis de prendre la piste qui me descendra directement vers la vallée et Khorog. On m’a prévenu que les 100 premiers km sont très difficile, seul et ma moto chargée comme elle l’est, je ne tente pas le coup. Je passerai par l’autre côté le lendemain. 





De belles portions de tôle ondulée, de celle qui vous ravive la douleur de blessures  anciennes. Crispé sur le guidon, hyper tendu, je finirai la journée avec de belles ampoules aux mains. 



Je m’interroge encore comme je l’avais fait en Alaska, de quelle matière est donc fabriquée cette moto pour ne pas se désintégrer sous les coups de boutoir de la piste. Ça tient de la magie.


Derrière la moto, le poste de police
La descente vers Khorog est interrompue par d’innombrables contrôles de police dans des postes immondes. L’intérieur, une seule pièce, tient lieu de dortoir, bureau, cuisine etc . . . Le préposé s’occupe de vos papiers assis sur un lit. 
Cela ne fait pas sérieux. Plus on descend plus les méandres de la rivière se remplissent de verdure et de quelques maigres cultures. 



A Khorog impossible de trouver un moyen d’amener ma moto dans l’enceinte de mon petit hôtel. On me suggère de passer par derrière sur un pont mais en y regardant de plus près, je m’aperçois que les piliers du pont ne touchent même pas le plateau de ce pont qui n’est en fait qu’une passerelle. 





Hors de question de tenter le coup avec cet engin de 350 kg. Finalement je confie sa garde pour la nuit aux pompiers de la ville qui sont ravis de prendre la pose. 



J’ai quitté le Kirghizstan avec ses habitants de type asiatique et qui vivent à cheval en permanence, se nourrissent de lait de jument et qui élèvent des chevaux comme nous des vaches. Arrive à Khorog je trouve des turcs qui se baladent sur des ânes. Ça a moins de gueule !

Le lendemain, je repars sur mes pas mais par la piste qui longe l’Afghanistan jusqu’au village afghan d’Iskashim. Ce coin-là est le fief de la tribut des pachtounes et de leur regretté chef le commandant Massoud. Leurs rapports avec les talibans manquent, paraît-il, de la cordialité la plus élémentaire. 



Là, le pont est fermé et je reste là de longs moments à contempler l’autre rive. Que ces pauvres gens n’ont ils pas soufferts depuis des dizaines d’années ! J’aperçois à quelques dizaines de mètres, de l’autre coté du torrent qui nous sépare   des enfants qui jouent des jeux simples et leurs parents qui peinent dans de maigres lopins arides. La bêtise et l’obscurantisme leur sont tombés dessus. Quand et comment pourront-ils s’en sortirent et retrouver la lumière ? L’Inquisition, ce n’était pas mieux chez nous mais c’était il y a 5 siècles.


J’aperçois quelques maigres cultures dans des endroits très inaccessibles, très haut dans la montagne, on peut penser qu’ils n’y font pas pousser que des légumes et des pastèques. D’après les russes, qui en sont fort irrités, la plus grande partie de la récolte d’opium, dont l’Afghanistan est le premier producteur mondial, transite par ces montagnes. 



La route de Khorog sur Dushanbe est une des épreuves probablement  les plus difficiles que j’ai vécu de toute mon existence. Chutes en série, crevaison, chaleur insoutenable, problème de câble d’accélérateur, GPS en rideau. Seul c’est dur, très dur.



Il ne me reste que l’équivalent de 2 verres d’eau dans mon thermos. Soit je la garde pour la soif (il fait 35°), soit je l’utilise pour localiser la fuite du pneu. Il n’y en a pas assez pour réparer donc je choisis de la garder pour boire. Une voiture passe qui me donne une bouteille plastique remplie de 1,5 l de thé. Cela fera l’affaire et effectivement me permettra de trouver la fuite et de réparer. La première fois de ma vie que je répare une crevaison moi-même sans l’aide d’un dépanneur. On peut être sûr qu’à partir de maintenant j’emporterai toujours une bouteille d’eau en plus de mon thermos.

A Kalaichum, atteint après 6 heures de galère, la police me déconseille de prendre la route du nord car une rivière est infranchissable. Ce sera donc l’option sud par Kulob où j’arrive à la nuit. Impossible de trouver un hôtel aussi le restaurant où je dîne me propose de m’héberger. Pas d’eau, pas d’électricité, pas de toilettes mais toute la famille a un tel sourire et une telle gentillesse ! Ils sont adorables.  


La pose photo avec l'Afghanistan au fond

C’est avec un petit pincement au cœur que je dévale les dernières montagnes vers Dushanbe. Le Pamir a été une expérience humaine extraordinaire, où il a fallu chercher dans les tréfonds les ressources pour continuer à avancer. Ce fut également une performance physique hors du commun vu mes capacités et mon âge : j’ai la chance d’avoir cette magnifique et incroyable moto et de pouvoir la mener sur ces chemins qui ne voulaient pas de nous. Une merveille de solidité et de technologie. On ne fait pas mieux dans le genre. Extraordinaire de fiabilité.

Avec la piste de Prudhoe Bay en Alaska puis la route de Chita en Sibérie et maintenant la traversée du Pamir, voilà 3 des routes mythiques que les motards les plus motivés du monde entier rêvent de faire un jour. Il en reste quelques autres. Mais je viens d’en faire 3 à la suite. En repensant d’où je reviens, alors bien sûr l’émotion est bien là et aussi la fierté d’avoir osé l’inimaginable. Et surtout la reconnaissance pour tous ces cadeaux inestimables.


Pour 2 jours, je mérite un très bon hôtel à Dushanbe. Repos, petits déjeuners et faire le point sur ce qui vient d’être accompli.

ADIEU  PAMIR ! MA BELLE ET DIFFICILE MONTAGNE QUI PERMET AUX GENS DE TROUVER EN EUX MÊMES DES CHOSES QU’ILS NE SOUPÇONNAIENT MÊME PAS. 

Tout ça c’est bien beau mais putain, ça a été dur !

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